L'Éditorialiste Olivier OLLOCHEME |
Dénis Avimadjessi vend au public les
œuvres de son musée situé à Ahozon. Geste
de désespoir, geste de dépit, de découragement et de dégoût. Le collectionneur,
à bout de souffle, a décidé de se libérer, à vil prix, de ce patrimoine qui lui
fait dépenser ses maigres ressources de retraité.
Les pièces achetées parfois à coups de millions de FCFA, seront vendues entre 1000 et 10.000 F maximum. Ce n’est rien d’autre qu’un bradage en règle.
Les pièces achetées parfois à coups de millions de FCFA, seront vendues entre 1000 et 10.000 F maximum. Ce n’est rien d’autre qu’un bradage en règle.
De partout, les Béninois s’émeuvent.
Chacun s’apitoie sur le sort du collectionneur et le supplie de ne pas liquider
ainsi un patrimoine matériel finalement hors de prix. Mais personne ne lui
propose rien de concret pour effacer ses dettes, rentabiliser son musée et
vivre décemment sa vie de retraité et de mécène. Ce qui lui arrive est loin
d’être anecdotique. Il suffit de voir la situation de nos lieux de mémoire pour
s’en convaincre : ils sont abandonnés, pillés, spoliés. Tout se passe
comme si, non content de les avoir oubliés, on se faisait fort de les
dépouiller de leurs pièces et de les avilir. Le musée d’Abomey a vu en douze
ans, la disparition d’environ 300 œuvres d’art, sans que jamais personne n’en
fasse une histoire : c’est un non-événement. Après tout, les gens ont
d’abord faim. C’est après avoir résolu les problèmes basiques de l’existence
que l’on pense à aller au musée ou sur un site touristique. Et le Béninois
oublie ces sources de création de richesse et d’épanouissement que sont les
œuvres d’art en général et les musées en particulier.
Qui en voudra à Dénis
Avimadjessi si jamais il concrétisait son intention? Son geste est simplement la résultante de
notre société qui n’a pas été formée à prendre au sérieux les œuvres d’art. Il
est le résultat des ratés de la politique culturelle de notre pays. En
principe, cette politique culturelle devrait faire fleurir le tourisme qui est
une puissante source de devises. En 2015, un pays comme la France a accueilli
environ 84,5 millions de touristes internationaux. Un an plus tôt, en 2014, les
recettes issues du tourisme ont représenté 7,4 % du PIB du pays, soit 43,2 milliards
d’euros. Ce n’est donc pas pour rien que le gouvernement français a décerné, ce
samedi, la Légion d’honneur à un couple d’Américains, Spencer et Marlene Hays,
ayant projeté de léguer sa collection d’œuvres d’art d’une valeur de 350
millions d’euros (229 milliards 250 millions de FCFA) au musée d’Orsay. Le tourisme seul crée en France 2 millions
d’emplois directs et indirects. Mais rien de tout cela n’aurait pu se faire si
les citoyens français ordinaires n’avaient pas acquis la certitude dès le
bas-âge, que les œuvres d’art sont une richesse.
La valeur des œuvres de l’esprit pose
en effet problème chez nous. Peu de Béninois savent à quoi servent les
peintures sur tableau, les sculptures en bronze ou en bois, ou encore les
chaises artistiquement stylées. « Ce sont des caprices de Blancs »,
disons-nous souvent pour ne pas voir la réalité en face. Et la vérité, c’est
que nous sommes insensibles à l’art, pour 95% des Béninois. Les 5% restants, ce
sont les intellectuels, les artistes eux-mêmes et quelques rares personnes de
la classe moyenne. Résultat : les musées sont désespérément vides. Dans certains
pays, les journées du patrimoine permettent de faire découvrir gratuitement à
chaque citoyen, les lieux de notre mémoire, faire sublimer par chacun, les
héros de notre histoire et rendre hommage à tous ces artistes qui nous font
réfléchir. On s’interroge encore : en instaurant une telle journée, avec
toute la publicité qui devrait l’accompagner, pouvons-nous nous sortir de notre
immobilisme actuel ? Rien n’est moins sûr
. Si Dénis Avimadjessi a eu le courage
de crier son amertume, que diront tous ces directeurs des musées publics
laissés à la dérive depuis des années ? Ils sont victimes d’un système qui
exclut les œuvres d’art, un système qui
n’a pas encore compris que l’art est un vecteur de création d’emplois et
de richesse.
Olivier ALLOCHEME
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