Adulée, controversée et même contestée, Vicentia
Tadagbé Tchranvoun-Kinni, aujourd’hui déifiée paraît toujours mystérieuse. Et
pourtant, elle avait une existence bien réelle. Enquête sur l’itinéraire d’une
jeune élève devenue aujourd’hui « Dieu ».
« Parfaite, Daagbo, Dieu Esprit Saint de
Banamè ». Ce sont des noms qu’on lui connaît aujourd’hui. Mais avant cette
métamorphose, elle avait vécu parmi les humains. Née le 18 avril 1990 à Sakété,
selon les archives que nous avons consultées, « l’Esprit Saint » de
Banamè, s’appelle à l’état-civil, Vicentia Tadagbé Tchranvoun-Kinni. Née d’un
père instituteur, Raymond Tchranvoun-Kinni et d’une mère revendeuse, feue
Victorine Hounhouédo, elle a passé son enfance à Tori-Gare, une localité située
à une trentaine de kilomètres de Cotonou, la métropole du Bénin. Avec ses
parents, elle avait vécu dans la maison de feu Vincent Quenum, un fervent
chrétien catholique. Une des parentes de l’ancien locataire de Tori-Gare,
Albertine Agonsè qui la connaissait bien à l’époque témoigne : « A
l’époque, elle était une petite fille. On ne la remarquait même pas. Elle avait
deux autres sœurs ». Inscrite à l’école primaire publique centre de
Tori-Gare vers les années 1994, Vicentia Tadagbé Tchranvoun-Kinni obtient en
2000, son Certificat d’Etude Primaire (CEP). Roland Houessouvo, un de ses
anciens camarades de classe avec qui elle avait passé le CEP, la même année,
rencontré à Tori-Gare se souvient encore du genre d’élève qu’elle était.
« J’avoue qu’elle était une travailleuse. Si elle n’est pas première de
notre classe quand on était au CM2, c’est qu’elle est2ème »,
a-t-il indiqué. Des talents qu’elle n’a d’ailleurs pas perdus lorsqu’elle
s’était inscrite au Collège d’Enseignement Général (CEG)de Tori-Agouako. Elle y
était inscrite, selon les archives du collège, au cours de l’année scolaire
2000-2001. Et c’était sous le numéro 1759. Sa classe était la 6ème
E, une classe dans laquelle sont inscrits, selon les précisions d’un de ses
anciens professeurs, des élèves qui avaient un niveau appréciable. « Le
rapport de fin d’année scolaire 2000-2001″ du Collège que nous avons consulté
ne dément surtout pas cette affirmation. Au premier semestre, en effet,
Vicentia Tadagbé Tchranvoun-Kinni avait obtenu une moyenne de 11,78/20. Au
second semestre, elle a bondi de deux points environs en s’offrant une moyenne
de 13,36/20. Ce qui lui a permis d’être classée 3ème de la classe à
la fin de l’année avec une moyenne de 12,82/20. Elle passe alors en classe
supérieure et sera inscrite en 5ème A. Mais, après deux ans passés
au CEGTori-Agouako, Vicentia Tadagbé Tchranvoun-Kinni va quitter le village où
elle a passé sa tendre enfance. Destination, le CEG Davié à Porto-Novo. Elle
s’y est inscrite en 4ème MC5 (où sont inscrits des élèves destinés
aux séries scientifiques). C’était au cours de l’année scolaire 2003-2004. Un
de ses anciens camarades de classe rencontré au quartier Kandévié témoigne de
son attitude à l’époque : « Elle était une fille vraiment timide.
Elle parlait très peu, mais tombait trop souvent malade », a-t-il confié.
Il faut dire qu’à Porto-Novo, elle a été placée chez son oncle maternel, Algnan
Dossou qui, rencontré chez lui, s’est présenté comme le père adoptif de
Vicentia Tadagbé Tchranvoun-Kinni.De façon péremptoire, il oppose une
autorisation expresse de Parfaite avant de dévoiler quelques informations.Et
pour cause : « Ce n’est plus la fille que j’avais éduquée. Elle s’est
transformée. Elle est maintenant mon Dieu. Je ne peux rien dire sur elle si
elle ne m’autorise à le faire. J’ai parlé à des journalistes comme vous qui ont
transformé tout ce que j’ai dit. Si elle ne m’autorise pas, je ne dirai plus
rien sur elle », s’est-il justifié. Il faut dire que la maison dans
laquelle Parfaite a vécu s’est désormais transformée. Elle est actuellement en
pleine reconstruction et fait la fierté de son ancien tuteur, Algnan
Dossou.C’est une maison à étage bien imposante.
Vicentia Tadagbé Tchranvoun-Kinni désormais brevetée.
Et après ?
En 2005, Vicentia Tadagbé Tchranvoun-Kinni obtient son
Brevet d’Etude du Premier Cycle(BEPC) au CEG Davié à Porto-Novo. Elle choisit
alors la Série D une fois en classe de seconde. Inscrite en D3, elle obtient au
premier semestre, 11,82/20 et est classée 34ème ex sur 70 élèves. Au
second semestre, elle obtient 10,81/20puis totalise à la fin de l’année, une
moyenne de 11,15/20 et est classée 19ème ex sur 70 élèves. Elle est
passée régulièrement en Première D puis ensuite en Terminale, une année plus
tard. Elle échoue à son premier essai au Baccalauréat Série D en 2008. Après
cet échec, Vicentia Tadagbé Tchranvoun-Kinni quitte Porto-Novo et le CEG Davié
pour s’inscrire au CEG Le Faucon,un établissement privé situé dans la commune
d’Abomey-Calavi, le 06 octobre 2008. Mais était-elle toujours la Vicentia
travailleuse dont on témoigne à Tori-Gare ? Non. Les données avaient
changé. Au CEG Le Faucon, elle a radicalement baissé de forme. Les archives du
Collège Le Faucon consultées révèlent qu’elle a obtenu au premier trimestre,
une moyenne de 8,46/20 et a occupé la 25ème place sur les 39 élèves
que comptait sa classe. Au second trimestre, très irrégulière aux cours, pour
le peu de matières dans lesquelles elle avait composé et qu’on lui a calculées,
elle a obtenu une moyenne de 7,62/20 et a ainsi occupé le 34ème rang
sur 39 élèves. Une baisse de forme qu’explique la Direction des études du
Collège par son état de santé devenu trop fragile et dégradant. Ce qui ne lui
permettait pas d’être régulière au cours ou de prendre part aux compositions de
fin d’année et au Baccalauréat.
Une élève pieuse, mais plaintive
Selon les témoignages faits par l’un des responsables
du CEG Le Faucon, Vicentia Tadagbé Tchranvoun-Kinni était une élève exemplaire.
« J’ai vu en elle, une demoiselle très calme. Elle n’avait pas une santé
solide et donnait des signes de fébrilité. Elle allait régulièrement voir les
responsables que nous sommes pour se plaindre de ses camarades dont les
comportements lui paraissaient déviants », a témoigné le directeur des
études de ce collège. « Elle objectait souvent sur les comportements de
ses camarades et faisait souvent observer qu’elle ferait une bonne responsable
de classe », a-t-il précisé. Pieuse et évasive, Vicentia Tadagbé
Tchranvoun-Kinni l’était, selon les mêmes responsables du CEG Le Faucon.
« Ce qu’elle est devenue par la suite ne m’a pas surpris parce qu’elle se
montrait trop pieuse et avait un comportement évasif », a témoigné la
Direction des études.
Banamè, la métamorphose !
Au bord d’une voie de terre rouge située à une
quinzaine de kilomètres du Centre-ville de la commune de Covè dans le
département du Zou, se dresse une église modeste, encore en chantier. C’est
l’église catholique Sainte Odile de Banamè. Nous y avons rencontré monsieur
Gabriel Tobossou. Enseignant de formation, il est le secrétaire du Conseil
pastoral paroissial, catéchiste dans ladite église.Comme si c’était hier, il se
souvient encore de l’état dans lequel Vicentia Tadagbé Tchranvoun-Kinni était
arrivée à Banamè. « Elle avait été conduite à l’église Sainte Odile de
Banamè par ses parents, le 20 janvier 2009. Elle était très malade. Elle
bavait. Elle était sous une emprise démoniaque », a rappelé Gabriel
Tobossou, qui révèle l’avoir tenue dans ses bras pour qu’elle puisse recevoir
les prières d’exorcisme et de délivrance qui lui ont été faites. Des prières à
l’issue desquelles elle a pu recouvrer un tant soit peu sa santé après deux
semaines d’inertie. Et c’est dans cet état de convalescence que la métamorphose
de Tchranvoun-Kinni Vicentia en ‘’ Parfaite, Daagbo, puis Dieu esprit
saint de Banamè » a commencé. Selon les explications données par le
secrétaire paroissial de l’église Sainte Odile de Banamè, « c’est au bout
de ces deux semaines qu’elle a commencé par faire croire aux fidèles et à toute
l’église qu’elle avait des révélations ».«Lorsque l’assemblée se réunit,
par exemple, elle raconte qu’elle est une grande personnalité, qu’elle n’a
jamais péché, qu’elle est aussi parfaite que Dieu ou qu’elle est plus âgée que
tous », a mentionné Gabriel Tobossou. D’où les surnoms »
Parfaite » (qui n’a jamais péché, sans tâche), « Daagbo » (plus
âgée que tous)puis « Dieu » qui lui sont attribués aujourd’hui. « Au
début, nous, on pensait qu’elle délirait. Mais, de plus en plus, la chose a
pris de l’ampleur », a expliqué le secrétaire de l’église catholique
Sainte Odile de Banamè. Au point où, l’exorciste, père Mathias Vigan qui avait
dirigé les prières s’est laissé convaincre par tout ce que Parfaite disait.
« Chose curieuse, alors que nous autres, nous n’y croyions pas, le premier
d’entre nous, je veux parler du père exorciste Mathias Vigan, se disait
convaincu de la véracité des révélations qu’elle faisait. On lui a tout dit,
mais il nous a convaincus qu’elle ne mentait pas », a fait observer
Gabriel Tobossou avant de préciser : « Lorsque Parfaite a remarqué
qu’elle a réussi à convaincre le père Vigan, elle a commencé par faire
plusieurs autres révélations. Ainsi, elle pouvait dire, par exemple, que telle
ou telle autre personne avait la sorcellerie ou était envoûtée ». Au point
où des fans clubs ont commencé par être formés en son nom, des séances de
prière sont commencé par être organisées. Elle les dirigeait personnellement
avec le soutien du père Vigan. Un soutien et une mobilisation des fidèles que
l’évêque d’Abomey, Eugène Cyril Houndékon appréciait mal. Telle une sanction,
il affecte alors le père Vigan sur une autre église à Dan, une localité située
dans la commune de Djidja, dans le département du Zou, bien loin de Banamè avec
pour interdiction que Parfaite le revoie. Il défère à cette instruction de
l’évêque et prend service dans cette nouvelle église le 10 janvier 2010.Mais
erreur. Au bout de quelques jours, selon les explications données par Gabriel
Tobossou, Parfaite qui draine déjà du monde derrière elle, ira le rejoindre.
Furieux, par une autre instruction, l’évêque d’Abomey, dans la juridiction sous
laquelle se trouve l’église Sainte Odile de Banamè interdit désormais les
« Campagnes d’évangélisation non autorisées et les déviations sectaires de
Parfaite et ses sympathisants ». C’était le 20 janvier 2011.« C’est
le texte de l’évêque qui a interdit à tout chrétien catholique de participer
aux assemblées de Parfaite », a précisé Gabriel Tobossou. Dans la foulée,
d’une manière déguisée, le père Vigan écope d’une nouvelle sanction. Il est
rappelé en France où il devrait séjourner pour d’autres missions. Sur le
terrain, sa protégée continue de mobiliser du monde autour d’elle jusqu’à ce
qu’il rentre précipitamment de France et la rejoint. Ce qui fait dire à Gabriel
Tobossou « qu’il est aussi contrôlé par Parfaite qui n’est pas encore
guérie de ses ennuis démoniaques ». Face à la persistance de la violation
de ses instructions, l’évêque d’Abomey prend une mesure plus radicale. Le 25
janvier 2013 donc, Parfaite et le père Mathias Vigan sont tous deux
excommuniés. Une décision à l’issue de laquelle les deux sont renvoyés de
l’église catholique. Par la suite, ils ont construit leur propre église dont le
siège se trouve à Sovidji, un vaste domaine étendu sur une colline à quelques
encablures de l’Eglise Sainte Odile de Banamè d’où ils ont été renvoyés. Une
église qui n’a rien à envier à l’église catholique romaine de par ses attributs
et qui draine aujourd’hui une horde de fidèles.
Donatien GBAGUIDI
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