Nous sommes un lundi de juillet 2016.
Le soleil est au zénith. J’ai rendez-vous avec un acteur du cinéma béninois. Et c’est à Porto-Novo, la
capitale du Bénin, située à 32 kilomètres de Cotonou, la capitale économique où
je réside. Avec ma moto, aux environs de 13 heures, j’atterris au centre-ville
de la capitale après une heure environs de route. J’interpelle alors un
conducteur de taxi-moto pour m’aider à identifier la maison de Bakary Nassirou,
plus connu sous le pseudonyme de Matao. C’est un personnage atypique et à
polémique. Une sorte de victime du cinéma. Après une dizaine de minutes, le
conducteur de taxi-moto, mon éclaireur m’emmène au quartier Kokoyè, la maison
familiale de Matao. Erreur ! Matao n’y réside pas. Il me faut encore 3
kilomètres de route. Et c’est, lui-même, en personne, qui va le préciser au
téléphone à mon éclaireur qui vient ainsi d’augmenter son revenu de la journée
avec cette distance supplémentaire qu’il devra encore faire avec moi.
Top ! On se met en route ! Et puis enfin, on est là. Au quartier
Zounkpa.
Devant la propriété privée de Matao. Au portail, l’un de ses enfants m’accueille
et me conduit vers son père. Lui qui, torse nu, avec sa généreuse bedaine qui
laisse se reposer sur la natte sur laquelle il s’est étendu, à côté d’une jeune
dame de la trentaine (sa petite femme), me reçoit à son salon. Dans le couloir
qui donne accès au salon, se trouve une autre dame, visiblement plus âgée que
celle qui est dans le salon avec Matao. C’est sa première femme. Entourée de
son bébé et d’autres gamins, elle suit avec attention mes échanges avec son
mari. Lui qui, après les debriefings, accepte de me parler. De tout d’ailleurs,
sans grande réserve. Et il fait surtout
des révélations autant sur sa vie d’acteur que sur sa vie privée.
Découvrez donc !
L’Evénement Précis : Les Béninois vous connaissent sous votre nom
d’artiste Matao. Quel est votre nom à l’état-civil ?
MATAO : Le
nom que mes parents m’ont donné, c’est Bakary Nassirou.
D’où vient alors le pseudonyme Matao ?
Au début de ma carrière, j’utilisais
le pseudonyme de Akaman (celui qui surprend quelqu’un), le nom d’un artiste yoruba. Un jour, à
l’occasion du tournage du film Akoyan
III, le scénariste (Léwi Pascal) m’a donné le nom de Matao.
Quelle explication donnez-vous à ce pseudonyme ?
Il sourit légèrement et répond de façon évasive : Houn ! Si je vous ai dit que je
lui ai demandé la signification du pseudonyme Matao, c’est que je vous ai
menti. Et j’avoue aussi que six (6) ans
après qu’il m’a donné ce nom, on s’est séparé.
Quel était alors le rôle distribué
au personnage Matao que vous aviez incarné à travers ce film Akoyan III ?
J’y avais joué le rôle de Marabout et
je faisais beaucoup de mal dans ce film. Peut-être que, selon leur
compréhension, Matao signifiait un méchant personnage. J’avoue que moi-même, je
n’en sais rien.
Vous avez dit tout à l’heure que vous vous êtes séparé d’avec le
producteur du film Akoyan III. Quelles ont été les raisons de votre
séparation ?
Avec réserve, il répond avec étonnement.
Je pense que ça, c’est un domaine privé. Les raisons sont personnelles. C’est
entre nous deux.
Est-ce pour des questions d’argent ?
Oui tout à fait, il y a eu réellement
des problèmes d’argent. Vous savez que nous, Béninois, généralement, ce qui nous
divise, c’est soit des problèmes de femme ou soit des problèmes d’argent.
Actuellement, on s’appelle et on se salue. Mais nous n’avons plus des
relations de production ou de promotion de mes œuvres. Sinon, en réalité, je
suis le principal comédien avec qui il tournait la plupart de ses films. Je
peux citer, à titre d’exemples, "Le
Triangle des élus" qui était diffusé sur la chaine de télévision Golfe TV,
"Village de Kassao", "Le
Berger" et bien d’autres. Le premier film qu’il m’a produit était un film
en Yoruba intitulé "Il n’y a qu’un seul Dieu". C’est après ce
tournage là qu’on s’est séparé.
Combien de films avez-vous à la date d’aujourd’hui ?
Il scrute le ciel, réfléchit quelques secondes puis répond sans
précision : Je
pense que c’est dans l’ordre de 15 ou 17 déjà.
Et si je vous demandais de nous situer sur l’année à laquelle vous êtes
venu au cinéma, que me répondriez-vous ?
Bon, franchement, je ne saurais vous
le dire avec précision. Parce que j’ai commencé à m’intéresser à l’art depuis
mon enfance. Depuis à peu près à l’âge de 15 ans. A l’époque, quand je le
faisais, de retour à la maison, mon père me tapait correctement. Parfois on me
ligotait. Car, j’étais écolier et je laissais les cours pour aller suivre les
scènes de tournage ou des spectacles de théâtre. C’était à l’école primaire
publique Kandévié. A cause de mon
entêtement à suivre les spectacles, mon papa a été obligé de m’envoyer chez un
parent à Pobè. C’est là que j’ai eu mon Certificat d’étude de fin de
l’enseignement de base (CEFEB), l’actuel Certificat d’études primaires (CEP).
J’y ai fait également le cours secondaire. C’est là-bas que j’ai rencontré des
icônes du théâtre de l’époque telles que les Tonton J et consorts. J’étais en
sixième à l’époque. En ce moment, eux, ils faisaient de l’animation théâtrale
dans un bar célèbre qu’on appelle "Escale". Et j’allais les suivre.
S’ils voulaient débarrasser la scène, changer de costume, c’était moi qui les y
aidais. C’est de là qu’ils m’ont adopté. Je le lui ai rappelé récemment et il
n’en revenait pas.
Ces icônes vous ont-elles intégré dans leur groupe à l’époque ?
Non, pas du tout. Mais j’avoue que
c’est quand j’ai commencé par les fréquenter que j’ai intégré le groupe de
théâtre de mon établissement à Pobè. J’ai fait quatre ans à Pobè quand mon
tuteur a été affecté à Cotonou. Je suis venu à Cotonou avec lui tout en poursuivant mes activités théâtrales. A un
moment donné, j’ai dû abandonner les classes. J’ai donc laissé les études en 3ème.
C’était l’année où il y avait eu l’année blanche au Bénin. Après, j’ai fait
deux ans de mécanique auto à Porto-Novo. Deux années pendant lesquelles j’ai dû
laisser le théâtre pour me consacrer à l’apprentissage de ce métier. Après la
mécanique, j’ai voyagé sur Libreville au Gabon où j’ai rencontré quelques
troupes de théâtre composées par des Béninois. Nous animions surtout des
soirées pour survivre. Après cinq ans de séjour en terre gabonaise, je suis
revenu au pays. C’est là que je me suis rendu définitivement compte que mon
destin, c’est le théâtre. J’ai pris alors au sérieux ce que je faisais.
On a observé que dans la plupart des films, vous jouez souvent le rôle du
méchant homme. Pourquoi cette option ?
Je peux expliquer cela par le fait
que j’ai débuté ma carrière de comédien par ces rôles méchants. Dans les
premiers films que j’ai joués, ce sont les rôles de méchant homme qui m’ont été
distribués. J’incarnais des marabouts, pas les bons, mais les méchants et faux.
Et pour le faire, il faut être sévère. C’est cela qui m’a transformé et chaque
fois que je dois jouer dans un film, on trouve que les rôles de méchants
personnages me vont bien. Mais maintenant, je suis en train de changer cette
option. Car j’en souffre dans ma vie réelle. Partout où je passe, par exemple,
des gens m’appellent féticheur ou faiseur de gris-gris et me traitent comme un
méchant homme.
Est-ce à force de jouer des rôles de méchant, vous êtes devenu méchant
dans la vie réelle sans le savoir ?
Non, pas du tout. Vous êtes venu me
voir ici maintenant à la maison n’est-ce-pas ? Je suis avec mes deux
femmes et mes enfants. Est-ce-que vous avez observé que je crie sur des gens ici ?
Donc, je ne suis pas dans la vie réelle
ce que j’incarne dans les films. Je ne peux même pas tuer un mouton moi-même.
C’est quelqu’un d’autre que j’appelle pour le faire.
Peut-on conclure que c’est à cause de ces reproches d’homme méchant que
les gens vous font que vous décidez d’abandonner les rôles de méchant dans vos
films ?
Oui, c’est ça mon cher. Car, trop c’est
trop. Partout où je passe, les gens me voient comme un méchant homme. Je pense
qu’il vaut mieux changer de stratégie.
J’ai failli être brûlé il y a quelques mois à Zâ-Kpota la dernière fois. Juste
parce que je joue des rôles de méchant dans des films, on m’a accusé de tenter d’enlever un enfant.
Justement, par rapport à cette affaire d’enlèvement d’enfant dont on vous
avait accusé, qu’est-ce qu’on peut y retenir réellement ?
Je me rappelle que c’était un
vendredi. Mais je ne peux plus vous dire la date. Car, c’est une date que
j’essaie d’effacer de ma mémoire. C’était dans les environs de midi. On était
venu d’Abomey. Et de Bohicon, nous allions à Kpédékpo. Au beau
milieu de Zâ-Kpota, précisément au
quartier Foly, mon chauffeur que j’ai laissé derrière pour conduire moi-même
mon véhicule m’a fait savoir qu’on nous demandait de nous arrêter pour vendre
nos CD. Il était alors sorti du véhicule pour aller vendre le CD. Des élèves, à
la sortie de l’école, m’ayant vu, se sont arrêtés. Certains parmi eux ont
commencé par m’insulter. J’ai démarré le véhicule pour m’avancer un peu,
histoire de les laisser sur les lieux. Malgré ça, ils ont couru encore vers moi
tout en continuant de m’insulter. C’est alors que ma femme est sortie du
véhicule pour taper l’enfant qui m’insultait en présence d’un vieux témoin des
faits. C’est ainsi que je suis sorti du véhicule tout en demandant à ma femme
de ne pas le taper, s’il reconnait si ce qu’il me dit est mauvais. L’enfant
ayant reconnu les faits en présence du vieux, sa mère, moi et ma femme, j’ai
demandé à sa maman de l’emmener avec elle et de lui interdire d’insulter les
grandes personnes. On en était là quand un groupe de jeunes, criant mon nom,
m’envahissent en disant que j’ai enlevé un enfant du village. Il y avait près
de 1000 personnes comme ça. Voyant ce qui se dessinait, le vieux qui était sur
les lieux, a dû appeler les gendarmes pour nous sauver. C’est ainsi que mes
trois autres accompagnateurs et moi avions été emmenés à la gendarmerie de
Zâ-Kpota qui a été également envahie par
ces jeunes qui réclamaient ma tête. Les gendarmes ont dû demander des renforts
pour contrer la foule. Le soir de l’incident, ils ont dû me faire porter leur
uniforme pour me faire sortir par leur
véhicule comme un gendarme. Ils m’ont alors emmené à la gendarmerie de Bohicon
pour nous protéger. Après leurs enquêtes, ils ont compris que c’était une fausse histoire.
L’enfant qu’on m’accuse d’avoir enlevé est venu témoigner que je ne l’ai pas
enlevé comme ils le prétendent. Le lundi, j’ai été emmené chez le procureur du
tribunal de première instance d’Abomey. Il a fait les confrontations avec ceux
qui m’accusaient. Le procureur a compris que c’était du faux et m’a demandé ce
que je souhaitais comme fasse. Je lui ai demandé de tout laisser à Dieu et que
chacun rentre chez lui.
Peut-on conclure que le cinéma
vous a joué un mauvais tour ?
Non, je ne peux pas dire ça.
Mais cette situation m’a appris beaucoup
de choses. J’ai pu apprendre, par exemple, que si les enfants sont en train de
raconter leur histoire, il vaut mieux les laisser que d’attacher de prix à ce
qu’ils disent. J’ai aussi compris qu’au Bénin, on confond la fiction avec la
réalité. Si dans un film tu joues le rôle de braqueur, c’est qu’on te prend
pour braqueur. Dans un film, si tu joues le rôle de sorcier, les Béninois te
prennent pour un sorcier. Et ça, c’est dommage !
Nous allons faire une petite incursion dans votre vie privée. Comment
définissez-vous la famille ?
Je dirai simplement que sans ma
petite famille, je ne pourrai pas vivre. Car, rien ne me procure autant de
bonheur que ma famille. C’est à cause de cela que je me bats tous les jours pour subvenir à leurs
besoins.
Matao est-il un polygame ?
Rires….. Oui, oui, oui. Je le suis.
Etes-vous un polygame heureux ?
Je suis très heureux même. Tout
d’abord, en tant que comédien, avant que des querelles de coépouses ne
surviennent, je l’imagine déjà. C’est pourquoi je m’interpose avec la comédie
et puis finalement, le calme revient. Il m’arrive parfois de provoquer des
disputes et par la suite, je mets la comédie dedans et ça cesse.
Combien de femmes avez-vous ?
J’ai juste deux femmes. Il y a une
qui fait du cinéma avec moi. Mais la grande a refusé de faire comme nous.
Combien d’enfants avez-vous ?
Pour le moment, je n’ai que cinq
enfants. Je demande à Dieu de m’en donner plus.
Un monogame ne peut-il pas être heureux ?
Non, je ne pense pas. Parce qu’il y a
la mort et la maladie qui peuvent parfois arriver. Mais moi je n’ai pas pensé à
ça avant d’épouser deux femmes. C’est surtout à cause du cinéma que j’ai fait
ça. Je le fais pour éviter la solitude qui pouvait m’entourer avec des
relations à risques qu’on pourrait avoir lorsque l’on voyage. A chaque fois que
je dois voyager à cause de mon métier, je le fais avec ma femme pour ne pas
avoir à courir d’autres femmes que je ne connais pas. Pendant ce temps, ma
grande femme reste à la maison avec les enfants parce qu’elle sait comment bien
gérer les enfants et le foyer.
Comment gérez-vous les femmes du dehors qui cherchent à avoir d’intimité
avec vous ?
Rires…. Je pense qu’il revient à chaque homme de
savoir organiser sa vie par rapport aux femmes. Moi, par exemple, si je ne te
drague pas et que j’observe que tu me regardes trop, j’ai tout de suite l’idée
que tu cherches mon malheur et que tu veux nuire à ma vie. Et là, je t’évite.
Donc vous jurez que vous êtes fidèle à vos femmes ?
Il rit pendant environ une minute et répond avec sourire après des coups
d’oeil à l’endroit de ses deux femmes : Non, jamais. Je n’aime pas la tricherie. Ou bien toi
tu m’as vu une fois flirter avec une autre femme en ville ? Je peux dire
que je suis fidèle.
Quel est votre vœu le plus cher aujourd’hui ?
Je demanderai simplement à Dieu de
m’accorder une longue vie afin que je puisse avoir la force de travailler pour
l’avenir de mes enfants. Car, n’étant pas un fonctionnaire d’Etat, il n’y aura
pas de pension de retraite pour eux après ma mort. Je prie Dieu donc de
m’accorder la santé et une longue vie pour assumer correctement ma mission familiale sur terre.
Entretien réalisé par Donatien GBAGUIDI
Vraiment c'est un vrai croyant pas de commentaires merci que Dieu le bénisse et famille amen
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