Ce lundi 23 avril 2018, la communauté internationale a
célébré la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Et nous avons donné
la parole aux acteurs de la chaîne du livre béninois. Entre dénonciations et
propositions, ils expriment, ici, aussi bien pour leurs pairs que pour les
autorités en charge de la culture béninoise, leurs doléances pour un véritable
essor du livre au Bénin. Découvrez leurs déclarations !
« Je
suis écœurée…des gens qui se servent des auteurs pour se faire remarquer »
« On a bien dit journée du livre et du
droit d'auteur. Mais la partie "droit d'auteur" n'intéresse personne.
Je suis écœurée de voir des gens qui crient à tue-tête promotion du livre,
promotion du livre, nous faisons la promotion du livre, mais,
ils se fichent royalement du droit d'auteur. Ils ne savent même pas ce
que c'est et ne veulent pas savoir. Des gens qui se servent des auteurs pour se
faire remarquer. Des gens qui se disent promoteurs du livre mais qui n'ont en
réalité aucun amour pour le livre et l'écrivain. J’ai compris qu'au Bénin, il
suffit de dire qu'on fait la promotion du livre pour se servir des auteurs. Au
Bénin, aucun respect pour les hommes de
plumes, ces femmes et hommes qui passent des nuits blanches à noircir des pages
blanches. Pour répondre à votre question, on se fiche d’eux. On fait la
promotion du livre et point. Les livres,
personne ne les écrit. Ils poussent comme des champignons... »
«La littérature
béninoise se limite presque à Cotonou, à Ouidah et à Abomey… »
Les œuvres littéraires au Bénin, ne souffrent d’aucune
insuffisance. Vous n’êtes pas sans savoir que le Bénin était taxé de quartier
latin de l’Afrique. Entre temps, le niveau a baissé un peu, mais cela remonte à
suffisance à travers la création, la production littéraire, à travers de
nouvelles tendances d’écriture, à savoir les contes, le slam et autres. De
nouveaux auteurs qui proposent des œuvres assez intéressantes. Je pense que de
plus en plus, les Béninois comprennent qu’il est important de raconter des
histoires, le Bénin étant riche culturellement. Nous avons aussi de grands
écrivains comme Couao-Zotti et autres. Mais après eux, nous avons connu les
plumes comme celles de Daté, Meschac Adjaho, Habib Dakpogan, y compris aussi
moi-même qui ai commencé par écrire aujourd’hui. Du coup, de plus en plus,
l’écriture béninoise a commencé par franchir les frontières nationales. Je cite
en exemple, le jeune Giovani Houansou qui était, en 2017, à la finale du Prix
mondial RFI. Il s’est positionné également, cette année, pour le même concours,
et je reste convaincu que grâce à la qualité du texte qu’il a soumis, il fera
mouche. Je pense donc que la littérature béninoise a actuellement vraiment du
vent en poupe. Beaucoup de femmes écrivent aujourd’hui également. Je pense à la
jeune écrivaine Mireille Gandébagni. Mais ce qui manque, c’est organiser la
chose d’une manière, qui permettra à ce que les écrits atteignent les
consommateurs, surtout les étudiants et les élèves.
Pour un meilleur avenir du livre au Bénin, je proposerais
qu’on réorganise le secteur. Le secteur est structuré en associations et en
fédérations, ce n’est pas grave. Mais il y a des points qui manquent, tels que
la distribution, le financement. Comment le financement est-il attribué ?
Vers qui le financement doit pouvoir aller pour impacter véritablement le
secteur ? Si nous écrivons beaucoup et laissons nos écrits dans le tiroir,
ça ne marchera pas. Il faudra donc financer forcément la distribution des
œuvres, susciter la création des bibliothèques dans tous les départements,
susciter la création des librairies dans tous les départements, susciter la
promotion des festivals de livres, la promotion des librairies mobiles pour des
étudiants et des élèves, susciter des tournées d’auteur pour aller rencontrer
le public à l’intérieur. La littérature béninoise se limite presque à
Cotonou, Ouidah et Abomey. Nous pensons
que cela doit pouvoir aller plus loin. Il faut investir donc dans la promotion
du livre pour le mettre sur orbite et
permettre à des auteurs béninois de participer à des salons internationaux pour
rencontrer d’autres auteurs.
Sophie Adonon, écrivaine béninoise,
vivant en France
« Il faut libérer la
littérature béninoise… »
« La
création littéraire au Bénin est en plein essor. Le Béninois est intelligent,
cultivé et créatif. Depuis Emmanuel Mounier, la donne reste immuable car
lorsqu'on parle du Bénin, hormis son patrimoine culturel, on perçoit en
filigrane, la littérature. Le Béninois est profondément littéraire et
nonobstant la baisse du niveau en français (baisse qui est mondiale), c'est
sans doute les pays comme notre Bénin qui vont sauver la langue française en
déclin en France, avec une anarchie langagière, outrageusement nommée "
évolution de la langue". Je n'ai pas d'inquiétude à l'égard de la création
littéraire au Bénin parce qu'elle est foisonnante et prometteuse.
Le gros
souci du Livre au Bénin est son manque de visibilité sur la scène
internationale. Nos éditeurs doivent davantage penser à la coédition avec des
Maisons d'éditions européennes, canadiennes. Ou alors, envisager des
distributions intercontinentales. Ensuite, il faudrait créer des événements
littéraires d'envergure et récurrents annuellement pour fidéliser la rencontre
lecteurs- auteurs.Enfin, ce secteur doit être synonyme de liberté de créer un
monde avec des mots, loin du clientélisme et copinage. La littérature ne peut
être privatisée par un groupuscule dans un pays... Il faut libérer la
littérature béninoise pour que le Livre devienne une entité à part entière dans
notre Culture. Et je compte sur Koffi Attede, dont je salue la nomination pour
balayer cette écurie d'Augias. »
Rodrigue Atchaoue, écrivain et éditeur
« Il faut que les subventions aillent effectivement aux acteurs du
livre… »
« La création littéraire au
Bénin se porte pas mal, je dirai même qu'elle se porte très bien. Des plumes se
démarquent nettement de la mêlée et donnent envie de rêver. La vraie
inquiétude, c'est la génération qui vient. La plupart des jeunes d'aujourd'hui
n'attendent pas de mûrir avant de publier. Ils doivent lire, lire, et encore
lire, afin d'affiner leur plume. Ce qui n'est malheureusement pas le cas. Presque aucun écrivain béninois ne vit de
son art. La preuve que le livre, au Bénin, n'est pas encore ce qu'il doit
être. Et pour redresser le tir, il faut une synergie d'actions. Et la
responsabilité de l'État est énorme dans cette affaire. Il faut des
bibliothèques partout, afin que les populations aient un accès facile au livre.
Il faut des librairies appartenant à l'État, pour que l'écrivain ou l'éditeur
cesse de subir le dickat des quelques deux librairies privées que nous avons.
Et surtout, il faut que les subventions aillent effectivement aux acteurs du
livre. A ces conditions, le livre béninois se portera mieux. »
Habib Dakpogan, écrivain, Lauréat du Prix littéraire du Président de la
République 2015
« …envisager
une structuration méthodique et efficace des fonds d’aide »
« La
littérature béninoise aujourd’hui se renouvelle lentement mais sûrement. De
nouveaux auteurs apparaissent dans le paysage et proposent des histoires de
leur temps. Les déchirures séculaires subsistent au bout de leur plume, en même
temps que cette envie de peindre un pays, un continent plus beau et moins
effrayant. Relevons toutefois que, côté contenant, nos livres n’ont pas encore
atteint le niveau de qualité des grands pays. Nous ne sommes pas les plus mal
lotis de la sous-région non plus. Il y a une grande quête de la perfection dans
les œuvres, conception graphique, qualité papier, lisseur de tranche. Tout ceci
traduit une volonté des acteurs du livre de se surpasser pour proposer les
produits les plus compétitifs possibles. Ce que je propose : En matière de
préparation : - Susciter des vocations en multipliant les concours et prix
littéraires ; - Organiser des ateliers d’écriture sur tous les genres
littéraires ; En matière de création : - Organiser une mission de partage
d’expérience au Centre national du livre de Paris, afin d’envisager une
structuration méthodique et efficace des fonds d’aide - Subventionner les
éditeurs sérieux, leur donnant ainsi les moyens pour faire du compte d’éditeur
après s’être dotés de bons relecteurs ; - Doter le Bénin d’une imprimerie
professionnelle qui sera gérée comme une entreprise privée ; En matière de
post-création : - Il faut que l’Etat achète des exemplaires de livres publiés à
compte d’éditeur et les mette à la disposition des écoles et bibliothèques ; -
Organiser la promotion des livres de façon professionnelle, en considérant les
livres comme objets d’art à part entière. »
Propos recueillis par Donatien GBAGUIDI
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