mardi 24 avril 2018

Journée mondiale du livre au Bénin: Ce que veulent les éditeurs et écrivains béninois

Ce lundi 23 avril 2018, la communauté internationale a célébré la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Et nous avons donné la parole aux acteurs de la chaîne du livre béninois. Entre dénonciations et propositions, ils expriment, ici, aussi bien pour leurs pairs que pour les autorités en charge de la culture béninoise, leurs doléances pour un véritable essor du livre au Bénin. Découvrez leurs déclarations !






 Mireille Gandébagni, comédienne-écrivaine
 
« Je suis écœurée…des gens qui se servent des auteurs pour se faire remarquer »

 « On a bien dit journée du livre et du droit d'auteur. Mais la partie "droit d'auteur" n'intéresse personne. Je suis écœurée de voir des gens qui crient à tue-tête promotion du livre, promotion du livre, nous faisons la promotion du livre,  mais,  ils se fichent royalement du droit d'auteur. Ils ne savent même pas ce que c'est et ne veulent pas savoir. Des gens qui se servent des auteurs pour se faire remarquer. Des gens qui se disent promoteurs du livre mais qui n'ont en réalité aucun amour pour le livre et l'écrivain. J’ai compris qu'au Bénin, il suffit de dire qu'on fait la promotion du livre pour se servir des auteurs. Au Bénin, aucun respect pour  les hommes de plumes, ces femmes et hommes qui passent des nuits blanches à noircir des pages blanches. Pour répondre à votre question, on se fiche d’eux. On fait la promotion du livre et point. Les livres,  personne ne les écrit. Ils poussent comme des champignons... »


  Claude Balogoun, réalisateur et écrivain

«La littérature béninoise se limite presque à Cotonou, à Ouidah et à Abomey… » 

Les œuvres littéraires au Bénin, ne souffrent d’aucune insuffisance. Vous n’êtes pas sans savoir que le Bénin était taxé de quartier latin de l’Afrique. Entre temps, le niveau a baissé un peu, mais cela remonte à suffisance à travers la création, la production littéraire, à travers de nouvelles tendances d’écriture, à savoir les contes, le slam et autres. De nouveaux auteurs qui proposent des œuvres assez intéressantes. Je pense que de plus en plus, les Béninois comprennent qu’il est important de raconter des histoires, le Bénin étant riche culturellement. Nous avons aussi de grands écrivains comme Couao-Zotti et autres. Mais après eux, nous avons connu les plumes comme celles de Daté, Meschac Adjaho, Habib Dakpogan, y compris aussi moi-même qui ai commencé par écrire aujourd’hui. Du coup, de plus en plus, l’écriture béninoise a commencé par franchir les frontières nationales. Je cite en exemple, le jeune Giovani Houansou qui était, en 2017, à la finale du Prix mondial RFI. Il s’est positionné également, cette année, pour le même concours, et je reste convaincu que grâce à la qualité du texte qu’il a soumis, il fera mouche. Je pense donc que la littérature béninoise a actuellement vraiment du vent en poupe. Beaucoup de femmes écrivent aujourd’hui également. Je pense à la jeune écrivaine Mireille Gandébagni. Mais ce qui manque, c’est organiser la chose d’une manière, qui permettra à ce que les écrits atteignent les consommateurs, surtout les étudiants et les élèves.
Pour un meilleur avenir du livre au Bénin, je proposerais qu’on réorganise le secteur. Le secteur est structuré en associations et en fédérations, ce n’est pas grave. Mais il y a des points qui manquent, tels que la distribution, le financement. Comment le financement est-il attribué ? Vers qui le financement doit pouvoir aller pour impacter véritablement le secteur ? Si nous écrivons beaucoup et laissons nos écrits dans le tiroir, ça ne marchera pas. Il faudra donc financer forcément la distribution des œuvres, susciter la création des bibliothèques dans tous les départements, susciter la création des librairies dans tous les départements, susciter la promotion des festivals de livres, la promotion des librairies mobiles pour des étudiants et des élèves, susciter des tournées d’auteur pour aller rencontrer le public à l’intérieur. La littérature béninoise se limite presque à Cotonou,  Ouidah et Abomey. Nous pensons que cela doit pouvoir aller plus loin. Il faut investir donc dans la promotion du livre pour le mettre sur  orbite et permettre à des auteurs béninois de participer à des salons internationaux pour rencontrer d’autres auteurs.

Sophie Adonon, écrivaine béninoise, vivant en France

« Il faut libérer la littérature béninoise… »

« La création littéraire au Bénin est en plein essor. Le Béninois est intelligent, cultivé et créatif. Depuis Emmanuel Mounier, la donne reste immuable car lorsqu'on parle du Bénin, hormis son patrimoine culturel, on perçoit en filigrane, la littérature. Le Béninois est profondément littéraire et nonobstant la baisse du niveau en français (baisse qui est mondiale), c'est sans doute les pays comme notre Bénin qui vont sauver la langue française en déclin en France, avec une anarchie langagière, outrageusement nommée " évolution de la langue". Je n'ai pas d'inquiétude à l'égard de la création littéraire au Bénin parce qu'elle est foisonnante et prometteuse.

Le gros souci du Livre au Bénin est son manque de visibilité sur la scène internationale. Nos éditeurs doivent davantage penser à la coédition avec des Maisons d'éditions européennes, canadiennes. Ou alors, envisager des distributions intercontinentales. Ensuite, il faudrait créer des événements littéraires d'envergure et récurrents annuellement pour fidéliser la rencontre lecteurs- auteurs.Enfin, ce secteur doit être synonyme de liberté de créer un monde avec des mots, loin du clientélisme et copinage. La littérature ne peut être privatisée par un groupuscule dans un pays... Il faut libérer la littérature béninoise pour que le Livre devienne une entité à part entière dans notre Culture. Et je compte sur Koffi Attede, dont je salue la nomination pour balayer cette écurie d'Augias. »


Rodrigue Atchaoue, écrivain et éditeur
« Il faut que les subventions aillent effectivement aux acteurs du livre… »

« La création littéraire au Bénin se porte pas mal, je dirai même qu'elle se porte très bien. Des plumes se démarquent nettement de la mêlée et donnent envie de rêver. La vraie inquiétude, c'est la génération qui vient. La plupart des jeunes d'aujourd'hui n'attendent pas de mûrir avant de publier. Ils doivent lire, lire, et encore lire, afin d'affiner leur plume. Ce qui n'est malheureusement pas le cas. Presque aucun écrivain béninois ne vit de son art. La preuve que le livre, au Bénin, n'est pas encore ce qu'il doit être. Et pour redresser le tir, il faut une synergie d'actions. Et la responsabilité de l'État est énorme dans cette affaire. Il faut des bibliothèques partout, afin que les populations aient un accès facile au livre. Il faut des librairies appartenant à l'État, pour que l'écrivain ou l'éditeur cesse de subir le dickat des quelques deux librairies privées que nous avons. Et surtout, il faut que les subventions aillent effectivement aux acteurs du livre. A ces conditions, le livre béninois se portera mieux. »




Habib Dakpogan, écrivain, Lauréat du Prix littéraire du Président de la République 2015
« …envisager une structuration méthodique et efficace des fonds d’aide »
« La littérature béninoise aujourd’hui se renouvelle lentement mais sûrement. De nouveaux auteurs apparaissent dans le paysage et proposent des histoires de leur temps. Les déchirures séculaires subsistent au bout de leur plume, en même temps que cette envie de peindre un pays, un continent plus beau et moins effrayant. Relevons toutefois que, côté contenant, nos livres n’ont pas encore atteint le niveau de qualité des grands pays. Nous ne sommes pas les plus mal lotis de la sous-région non plus. Il y a une grande quête de la perfection dans les œuvres, conception graphique, qualité papier, lisseur de tranche. Tout ceci traduit une volonté des acteurs du livre de se surpasser pour proposer les produits les plus compétitifs possibles. Ce que je propose : En matière de préparation : - Susciter des vocations en multipliant les concours et prix littéraires ; - Organiser des ateliers d’écriture sur tous les genres littéraires ; En matière de création : - Organiser une mission de partage d’expérience au Centre national du livre de Paris, afin d’envisager une structuration méthodique et efficace des fonds d’aide - Subventionner les éditeurs sérieux, leur donnant ainsi les moyens pour faire du compte d’éditeur après s’être dotés de bons relecteurs ; - Doter le Bénin d’une imprimerie professionnelle qui sera gérée comme une entreprise privée ; En matière de post-création : - Il faut que l’Etat achète des exemplaires de livres publiés à compte d’éditeur et les mette à la disposition des écoles et bibliothèques ; - Organiser la promotion des livres de façon professionnelle, en considérant les livres comme objets d’art à part entière. »
    
Propos recueillis par Donatien GBAGUIDI

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