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dimanche 24 janvier 2016

A propos de l’ouvrage "CULTURE EN DEUIL" : Regards critiques de l’écrivaine Carmen Toudonou



Présentation de l’ouvrage "Culture en deuil" de Donatien Amadji GBAGUIDI
Ce 15 janvier 2016 à BRH, Cotonou

L’ouvrage "Culture en deuil" de Donatien Amadji GBAGUIDI parait aux éditions Protiges. C’est un essai de  150 pages illustrées qui revient sur la série de décès d’artistes de la chanson en 2013. Pourquoi juste des artistes, pourrait-on s’interroger ? Déjà, la réponse tient d’une part au fait que l’auteur est un journaliste culturel qui, semble-t-il, s’est spécialisé dans le domaine de la chanson. Par ailleurs, la mort d’un artiste reconnu n’affecte pas que sa famille comme ce serait le cas pour un citoyen lambda ; à la disparition d’une vedette ou d’un chanteur, c’est toute la communauté des fans et des groupies qui se sent affectée. Le deuil, même s’il n’est pas décrété national, devient du coup celui de tout un peuple, celui de tout un public.


Pour en revenir à cet ouvrage, le premier que signe Donatien Gbaguidi, il documente sur le passage de vie à trépas de 8 artistes de la chanson à travers autant de parties du livre. Au fil des pages, c’est le journaliste qui mène l’enquête, à travers des investigations bien évidemment, mais également des témoignages, des hommages, interviews et des illustrations. L’auteur a choisi une organisation chronologique de son ouvrage, allant du premier artiste décédé en 2013 (Alokê) au dernier, Djibril Sagbohan. Il se dégage alors un certain nombre de points dissemblant, et d’autres concordants – Nous les relèverons tout à l’heure. Mais avant, notons qu’il y a parmi ces morts, ceux d’un certain âge que l’on pourrait classer parmi les « vieux », ceux dont une expression populaire goun pourrait dire qu’ils sont "rentrés – Yé yi houé", les septuagénaires et octogénaires, et les plus jeunes, trentenaires et quarantenaires.

·        Les jeunes artistes décédés en 2013
Ils forment la majorité des artistes décédés en 2013 ; ils sont 5 sur les 8. Parmi eux, il y a ceux qui sont décédés suite à des maladies, et ceux dont le trépas paraît un tantinet mystérieux, du moins si l’on s’en tient aux témoignages recueillis par l’auteur. Dans la première catégorie, l’on pourrait citer deux jeunes artistes de la musique traditionnelle : Alôkê et Djibril Sagbohan. Du premier, l’ouvrage nous informe qu’il a succombé suite à un certain nombre de maladies que le manque de moyens l’a empêché de prendre correctement en charge. Le second aurait rendu l’âme suite à une intoxication alimentaire qui aura épargné de justesse son père.

Parmi les décès mystérieux, l’on dénombre la seule dame du lot, Zouley Sangaré décédée, plutôt retrouvée morte en 2013. A travers des interviews, témoignages et anecdotes, Donatien Gbaguidi retrace le parcours de celle dont la voix aura conquis plus d’un. L’on découvre, au fil des interviews, une femme sensible certainement, une vedette très méfiante, voire sévère. L’autre artiste dont le décès paraît inexpliqué est Riss Cool dont la maladie n’aura pas bénéficié d’un diagnostic précis avant son trépas. Enfin, le chanteur Bluv du groupe All Baxx appartient à cette dernière catégorie. Il sera retrouvé mort dans sa chambre. C’est le seul dont il est signalé dans le livre que la dépouille a bénéficié d’une autopsie, ayant conclu à une crise cardiaque.
·        Les vieux artistes décédés en 2013
Des trois vieux artistes décédés en 2013, le premier est GG Vickey qui quitte cette terre pratiquement dans la solitude et qui bénéficie d’hommages de la nation. C’était peut-être le plus reconnu de tous les artistes cités dans l’ouvrage puisque le deuil de son décès est pratiquement national. Après le Gentleman "qui s’est rendu tout droit, tout droit au royaume des cieux", c’est Alokpon qui casse la pipe. L’ouvrage a du mal à trancher entre l’AVC et la mort mystérieuse pour la cause de son décès. Enfin, c’est le précurseur du Zinli, Tougan Amassè qui décède courant cette même année d’hécatombe artistique.

·        Quelques constantes
A la sortie de cet ouvrage, quelques constantes se dégagent :
-         L’on note le souci de l’auteur d’être un témoin minutieux de son époque. Visiblement, l’œuvre est d’une personne organisée, qui prend des notes à propos des dates, des heures, des circonstances, etc…
-         Les artistes qui sont présentés dans l’ouvrage sont pour la plupart, au moins dans le dénuement financier. Certains sont également plongés dans une indigence morale. Le moins que l’on puisse dire est que, après avoir brillé sous les feux des projecteurs, ces artistes se retrouvent seuls face à leur misère, seuls avec eux-mêmes.
-         La polygamie semble être le destin fatal de la plupart des artistes dont il est question, surtout ceux de la chanson traditionnelle.
-         L’on note enfin le souci du "successeur". Outre le cas de Zouley qui paraît marginal, que ces artistes se réclament de la musique traditionnelle ou de celle moderne, ils éprouvent le besoin de désigner un successeur ou alors celui-ci s’auto-proclame après leur décès. Il s’agit souvent d’un fils, d’un frère, parfois d’une personne qui n’appartient pas à la famille biologique du défunt. Il est "révélé" le jour de l’inhumation de son mentor, dans ce qui pourrait s’apparenter à un rituel de passage de témoin. Cependant, l’autre constat est que ces "successeurs" pour la plupart peinent à atteindre à la renommée de leurs inspirateurs. Le cas de Djibril Sagbohan semble venir à contrario de tout ceci, puisqu’il était plutôt appelé à prendre la succession musicale de son père Sagbohan Danialou avant son décès.
Au total, l’ouvrage se laisse lire comme un véritable feuilleton de faits divers. L’auteur fait œuvre d’historien en consignant toutes informations qui pourraient permettre de documenter plus tard des recherches sur les conditions de vie de nos artistes. Manifestement, l’art peine à nourrir son homme et la misère paraît le premier bourreau de ces chanteurs. La bohème ne nourrit pas vraiment son homme sous nos cieux, et le propos de Donatien Gbaguidi est de montrer que certaines de ces morts auraient pu être évitées s’il existait une structure sociale bien adaptée pour accompagner la carrière des chanteurs et chanteuses, la carrière des artistes en général. Le sujet paraît lugubre. La couverture sombre de l’ouvrage, son titre donnent le ton. Mais au-delà de l’émotion, l’auteur souhaite visiblement poser les bonnes questions, pour que la réflexion s’enclenche.

D’ailleurs, les artistes étant produit de sa société, c’est toute la structure sociale qui est ici mise à l’index, à travers un groupe particulier d’individus. Le même travail pourrait être fait pour les sportifs, les enseignants, les menuisiers... Le constat serait presque invariable à mon sens : le dénuement tue plus que toutes autres pathologies au Bénin. Entre ceux qui sont obligés de s’en remettre aux groupes de prière pour espérer une hypothétique survie, et les autres qui s’obligent à envisager des causes mystérieuses à des maux dont le diagnostic est pourtant possible en médecine, ceux qui finissent tous seuls pour des raisons ou d’autres, il y a un coup à jouer : c’est toute notre conception de la solidarité qui est à redéfinir. A lire Donatien Gbaguidi, l’on note bien que nous ne sommes pas toujours les sociétés solidaires que nous voulons bien prétendre être, et que l’individualisme ne manque pas d’adeptes sous nos cieux. Voilà donc ce à quoi cet ouvrage nous appelle : à redéfinir notre société tout court. 

Carmen TOUDONOU

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