Après le sacre du film
"L’Orage africain : un continent sous influence" au Festival
panafricain de cinéma de Ouagadougou (Fespaco 2017), nous avons rencontré pour
vous, un des acteurs. Il s’appelle Claude Balogoun. Pour avoir joué un rôle
important dans ce film et appuyé la machinerie dans la réalisation de la
fiction, il en révèle les coulisses et
propose la thérapie nécessaire pour un réel décollage de l’industrie
cinématographique béninoise. Découvrez donc !
Le Bénin, à travers le film "L’orage africain : un
continent sous influence" de Sylvestre Amoussou, a décroché l’Etalon
d’argent au Fespaco 2017. Vous êtes un des acteurs béninois ayant joué dans ce film.
Quel sentiment vous a animé après l’annonce de cette bonne nouvelle pour le
cinéma béninois ?
Claude Balogoun : Mes sentiments sont des sentiments
de joie profonde, parce que c’est la première fois que le Bénin a pu décrocher
un prix aussi prestigieux au Fespaco. J’exprime d’ailleurs cette joie à plusieurs
titres. Parce que ceci constitue mon premier Etalon en tant que cinéaste. Je m’approprie ce prix parce que j’ai joué un
rôle important dans le film. Et c’est la première fois, malgré tout ce que je
fais dans le cinéma, que j’ai gagné un Etalon d’argent, je ne dirai pas que
Sylvestre Amoussou a gagné.
Pour ceux qui n’ont pas
encore suivi le film, parlez-nous du rôle que vous y avez joué.
J’ai joué le rôle d’un inspecteur qui devrait diriger une
enquête. A un moment donné, il fallait jouer le sale rôle. Lorsque le Chef de
l’Etat, dans le film, refusait de se soumettre aux désidératas du colon,
il a fallu faire appel à certaines
personnes pour faire disparaître un certain nombre de dossiers assez
compromettants qui devraient pouvoir plonger les gens. J’étais dans ce rôle, sur le même plateau
que Kocou Yémadjè, Barnabé Affougnon qui avait joué le rôle de mon
collaborateur et qui devrait avoir dans son tiroir, les documents
compromettants dont on parle. C’était donc un rôle qui devrait permettre de
comprendre l’évolution de l’histoire du film.
L’autre raison qui explique ma joie, c’est que cela fait
longtemps que les gens m’ont fait appel
pour me distribuer dans un film. Lorsque monsieur Sylvestre Amoussou m’a
appelé pour jouer dans ce film, j’en étais très heureux.
Le film a été
entièrement tourné au Bénin. Vous qui aviez pris part au tournage,
faites-nous découvrir un peu les
coulisses du tournage
Je ne pourrai pas vous parler entièrement des coulisses du
tournage. Mais je vais vous raconter quelques faits dont je me souviens encore.
Lorsque monsieur Sylvestre Amoussou m’a retenu pour jouer le rôle de
l’Inspecteur, au lieu d’une seule tenue, étant très surexcité, j’ai débarqué à
Grand-Popo où le tournage devrait se faire avec environ une dizaine de tenues
afin que le costumier puisse en faire le choix.
L’autre fait, c’est que, lorsqu’on m’a remis le texte qui
concerne mon rôle, j’ai demandé au réalisateur de me remettre l’intégralité du
scénario afin que je puisse réellement pénétrer l’esprit du film pour ne pas
faillir dans mon rôle. Après lecture, je lui ai posé aussi des questions sur ce
qu’il veut réellement que le personnage que j’incarne soit. Il m’a donné quelques
explications et sur le champ, je suis monté sur le plateau et j’ai joué direct.
Après chaque séquence, il m’appelle et me dit : « Mais Balogoun, où
étais-tu caché ? Tu joues tellement bien. Pourquoi tu ne joues pas souvent
dans les films ? ». Et je lui
réponds gentiment avec sourire que les gens ne me distribuent pas.
Et je dois avouer aussi que le fait d’avoir joué dans ce film
m’a beaucoup touché. Je le dis parce que j’étais en pleine crise de maladie
quand le tournage a commencé. Ce qui a fait qu’après chaque séquence, je
devrais m’allonger par terre, récupérer un peu avant de reprendre une autre
séquence. C’était trop difficile pour lui de me voir souffrir comme ça. Mais
j’ai tenu à réussir, et je l’ai fait malgré mon état de santé dégradant.
"L’Orage
africain : un continent sous influence", a l’avantage d’avoir été
entièrement tourné au Bénin. Et au Bénin justement, on ne saurait parler de
cinéma sans évoquer Gangan-Productions que vous dirigez. Quel a été l’apport
technique de votre structure sur ce film ?
Votre question me pousse à vous faire une confidence. Je
viens de quitter le réalisateur du film
« Adjani ogoun ». C’est un Nigérian qui est présentement au
Bénin et qui a réalisé ce film qui a bercé l’enfance de plusieurs Béninois
comme moi. C’était un film d’anthologie à l’époque. C’est un certain Balogoun.
Et le plus intéressant, c’est qu’il m’a confessé à notre rencontre, qu’il est
10.000 fois mieux de tourner au Bénin qu’au Nigéria. Et celui-là, qui a fait un
pareil aveu, est pratiquement le Wolé Soyinka du Cinéma africain.
Et pour enchainer avec votre question, je dirai que tout le
décor, c’est-à-dire le Palais de la République et tout le reste, ont été faits
avec un appui à minima de Gangan-Productions. C’est un appui
constitué entre autres de la machinerie et bien d’autres choses que je ne
veux pas citer ici. Et je me rappelle encore des appréciations de son équipe
lorsqu’elle était venue pour recevoir la machinerie. Il y avait parmi eux, un
grand technicien, gestionnaire de plateau, professionnel du cinéma sénégalais
qui a confessé : « Monsieur Balogoun, je ne savais pas qu’il y avait
un autre Africain qui est aussi fou du matériel comme je le suis ».
J’étais donc très heureux d’avoir contribué à la hauteur de Gangan-Productions
à la constitution de l’équipement technique ayant servi à la réalisation de ce
film. Et j’en suis aussi fier, parce que, le même type de matériel, j’en ai mis
à la disposition de plusieurs autres films qui n’ont pas pu avoir cette qualité
que nous avons eue.
Permettez-moi de
rentrer un peu dans l’intimité de ce film. Vous êtes réalisateur tout comme
Sylvestre Amoussou. Vous-a-t-il expliqué le projet au départ avant de vous
engager dans le tournage ?
Non. Pas du tout alors. Et je veux être très direct. J’ai
appris, que mon grand-frère, Sylvestre Amoussou, pour son film précédent, on
lui aurait conseillé de travailler avec tout le monde, sauf Claude Balogoun. Et
là, moi-même, j’ai dû me résoudre à rester tranquille, parce que je me dis
toujours que ce qui m’appartient viendra inévitablement vers moi. J’en étais là
quand, un jour, il est venu, vers moi et m’a lâché : « Si je dois
écouter ce que les gens ont raconté sur
toi, je ne viendrais pas chez toi. J’étais dans cette logique quand une autre
personne m’a dit d’aller te voir si je veux aller vite et bien avec mon nouveau
film ». Et c’est ce qui a fait que je lui ai montré toute ma bonne foi en
lui remettant tout ce dont il m’avait dit avoir besoin et qui était à ma
portée. C’est après cet acte de
générosité que j’ai posé et dont il était vraiment satisfait qu’il m’a proposé
de jouer dans le film. Et lorsque nous étions également allés à Grand-Popo pour
jouer toutes les séquences liées au Palais de la République, j’ai été sidéré
par la générosité légendaire dont a fait preuve un autre Béninois en mettant
gracieusement à la disposition de la réalisation, son prestigieux hôtel. Et le
grand-frère Sylvestre Amoussou m’a confessé que ce Béninois là, il l’a juste
rencontré une seule fois dans un avion,
et puis automatiquement, il s’est proposé de mettre à la disposition de
l’équipe de tournage, ce grand hôtel pour tout le temps que va durer le
tournage.Cela veut dire qu’il y a des gens qui comprennent chez nous, la valeur
du cinéma. Et je puis aussi vous avouer que le film a été tourné dans des
conditions vraiment difficiles. C’était trop dur, étant donné que l’Etat
béninois n’a pratiquement rien donné pour financer le film. Et avec cette
thématique qu’aborde aussi le film, il n’a pas pu obtenir non plus des
financements européens. Je dirai donc que c’est dans un élan de solidarité que
le film a été réalisé.
Quels ont été les
moments de nervosité qui vous ont marqué sur le plateau de tournage ?
Comme toute réalisation, il y a eu sur ce film, des moments
difficiles. Je me rappelle qu’il a dû renvoyer certains Européens en plein
tournage, pourtant sollicités sur le film. Et ceci, pour des incompréhensions
liées aux conditions de travail. Il y avait des Européens qui, au regard du
discours que porte le film, ont accepté accompagner le réalisateur. Mais il y
en a d’autres qui, malgré la rareté des ressources financières, ont exigé des
conditions de travail extraordinaires, au-dessus des moyens qui existent. Ceci
a dû énerver le réalisateur qui était obligé de se séparer d’eux. C’est le
moment de remercier les comédiens béninois qui ont fait preuve de solidarité
autour du réalisateur, en jouant dans ce film sans regarder ce qu’ils pouvaient
gagner en termes d’argent.
Vous êtes un
professionnel du cinéma béninois. A travers ce prix de Sylvestre Amoussou, le
Bénin a atteint un niveau très élevé qu’il faut travailler à améliorer. Que
faire pour ne plus descendre ?
Je pense avant tout que l’Etat béninois doit se saisir de ce
prix pour accompagner le réalisateur. Ensuite, l’Etat béninois doit désormais
croire en l’importance de l’industrie cinématographique en y mettant les moyens nécessaires pour son
éclosion et sa professionnalisation.
Les Béninois doivent aussi faire preuve de solidarité pour
s’entraider dans les différents projets qui seront mis en exécution en matière
de cinéma dans notre pays. J’en parle parce qu’à cause de ce manque de
solidarité, moi, par exemple, je n’ai pas pu réaliser mon film que je devrais
amener au Fespaco 2017. Et ceci, à cause d’un producteur qui, au dernier
moment, m’a lâché, alors qu’il avait déjà pris tous les engagements possibles
pour que le film soit réalisé. A deux semaines du tournage, celui-là m’appelle
et me dit qu’il se désengage de la production, tout simplement parce qu’un ami
commun à nous deux, m’a fait quelque-chose dont je me suis plaint à lui. Il m’a
rétorqué que si j’ai pu parler ainsi de cet ami à lui, alors, je pourrais faire
la même chose de lui malgré ce qu’il me fera.
J’ai dû tout annuler pour le remettre à plus tard.
Entretien réalisé par Donatien GBAGUIDI
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