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jeudi 8 octobre 2015

Bénin: Watchi et fon, deux ethnies interdites de mariage


Sidonie Atti, l'exception qui confirme la règle
Du fait des cicatrices de l’histoire, les mariages entre watchi et fon étaient presque interdits. Mais aujourd’hui, cette pesanteur rencontre de nouvelles mentalités décidées à tourner la page.




Afangnihoun Assou est un octogénaire, chef de la collectivité Afangnihoun de Comè, une commune du département du Mono-Couffo située à environ 80 kilomètres de Cotonou. « Une femme ou un homme watchi ne peut prétendre se marier avec un fon », laisse-t-il entendre. Et d’expliquer : « Ce sont des interdits qui ont été prononcés par nos aïeux compte tenu de ce qu’ils ont vécu avec les fon. On ne saurait transgresser leurs interdictions ». Voilà une interdiction qui date de plus d’un siècle et qui semble pourtant bien suivie au XXIème siècle. Le maire de Comè, Bertin Tossou, né vers 1938 et aujourd’hui à son deuxième mandat à la tête de cette municipalité, nous en donne la preuve. « Depuis que je suis maire ici, je n’ai jamais célébré de mariage entre un fon et un watchi », nous-a-t-il révélé. Instituteur à la retraite, le maire de Comè donne la source réelle de cette méfiance : « l’histoire remonte au 1er septembre 1891. Après une guerre perdue contre le royaume des watchi, le roi Béhanzin, une fois venu au trône à Abomey, a voulu se venger. Il est alors venu enrôler de force les vaillants hommes et femmes de Comè pour les faire travailler à Abomey. Là-bas, il les a maltraités. Beaucoup ont été tués et leur sang a même servi dans la construction du temple qu’on appelle « Ahoho ». C’est cette situation qui a agacé nos aïeux qui ont maudit toute femme ou tout homme qui oserait se marier à un fon ». Depuis 122 ans, cette malédiction ancestrale pèse sur les relations entre les peuples fon et watchi. Le sociologue-anthropologue béninois, professeur Dodji Amouzouvi, Maître de Conférences des Universités du Conseil africain et Malgache de l’enseignement supérieur (CAMES), sans banaliser la persistance de la situation, y trouve les explications possibles. « La persistance de ces interdictions peut s’expliquer par la nature du clivage, l’importance des acteurs qui la portent, le contexte de son émergence et les enjeux qu’elle mobilise. Ces interdictions peuvent aussi être comprises comme un mécanisme de régulation sociale », explique-t-il de son regard de socio-anthropologue. Et pour lui, le bout du tunnel n’est pas pour demain. « Tant qu’elles sont socialement pertinentes, qu’elles ont un sens pour les acteurs sociaux, ces interdictions  persisteront », fait-il observer. Si le maire de Comè, Bertin Tossou assimile ceci à une pesanteur historique qui met en cause la cohésion sociale, le professeur Dodji Amouzouvi apporte des nuances. « On pourrait affirmer qu’il s’agit d’une pesanteur historique qui met en cause l’unité nationale si tout ceci repose sur la manipulation. Ou si c’est pour assouvir la volonté de puissance d’un seul individu et ceci pour des raisons fallacieuses », explique-t-il. Dans le cas contraire, il propose : « Si les raisons sont culturellement et historiquement fondées, les assumer seraient plutôt la porte de sortie et de consolidation de l’unité nationale qu’il ne faut pas confondre avec un animisme national ou un nivellement national. L’unité nationale doit pouvoir se nourrir des différences de toutes les filles et de tous les fils de la nation », mentionne-t-il.



Loin des yeux, des couples se forment
De son regard d’intellectuel, le maire de Comè, Bertin Tossou estime pourtant qu’ «il est temps de dépasser ces obstacles pour évoluer ». Selon lui, « le monde change et il faut changer aussi les mentalités ». Même s’il tarit d’exemples de couples issus des deux ethnies qui réussissent leur vie à deux à Comè où le phénomène s’observe avec acuité, il rappelle néanmoins qu’il y en a loin des yeux qui vivent leur vie sentimentale. « C’est l’amour qui doit être priorisé dans toute relation qui doit durer. C’est l’amour qui fait le ménage aujourd’hui », affirme-t-il avant d’inviter les jeunes qui s’aiment « sincèrement à extirper de leur esprit ces interdits historiques pour mieux construire leur vie ». Ce conseil, le jeune Coffi Alexandre n’est pas prêt à l’appliquer. Aujourd’hui en quête de son âme sœur à Comè, il dit « avoir peur de subir les représailles des aïeux » si jamais il brave leurs interdictions. Mais contrairement à lui, bien de femmes watchi l’ont déjà intégré dans leurs habitudes et vécus quotidiens. Il en est ainsi surtout parce qu’elles sont bien loin du Mono, leur département d’origine. C’est le cas, par exemple, de dame Sidonie Atti, revendeuse à Abomey. A 50 ans, elle totalise aujourd’hui plus de 30 ans de vie conjugale avec un fon. Mieux, son mari, Constant Akovè est le chef de la collectivité Akovè d’Abomey, d’où lui vient d’ailleurs son nom fort, Dah Houandjènon. Les deux ont six enfants dont l’aînée a aujourd’hui 25 ans. Mais, pour en arriver là, Sidonie Atti a dû faire preuve de courage. Comme si c’était encore hier, elle se souvient et raconte son histoire : « Quand j’étais jeune, ma grande sœur chez qui je suis restée m’a formellement interdit de me marier avec un fon. Elle m’a dit que je ne trouverai que malheur si je le faisais, étant donné que nos aïeux ont maudit cette union. Mais, ironie du sort, ce sont seulement des hommes fon qui me faisaient des avances. Chaque fois que je venais les présenter, on m’en dissuadait. Mais, un jour, ma belle-sœur qui s’était mariée pourtant à un fon m’a demandé de ne pas écouter ma grande sœur et d’accepter les avances de mon actuel mari. Sans hésitation, j’ai suivi ses conseils étant donné que mon âge avançait aussi ». Que s’est-il finalement passé ? Sidonie poursuit : « Au début, ma grande sœur s’y est formellement opposée. Mais quelque temps après, lorsqu’elle a compris que tout allait bien entre mon mari et moi, elle a fini par tout laisser tomber et tout est rentré dans l’ordre ». S’estimant épanouie aujourd’hui dans sa vie de famille, Sidonie Atti invite ses parents à « s’ouvrir aux autres ethnies ». Elle ne compte surtout pas dissuader ses enfants de se marier à un fon. Alida Amèhounkè, une jeune watchi de 32 ans, est aussi de cet avis. Mariée à un fon, Abel Gnanvi, elle invite ses autres frères et sœurs watchi à tourner la page de l’histoire en « faisant triompher leur amour avec l’homme ou la femme qu’ils aiment ». Mère d’une fille de 2 ans, Alida pense bien surmonter toutes les difficultés qui pourraient nuire à l’union entre elle et son mari. Sa jeune sœur, Reine Amèhounkè, également mariée à un fon, pense d’ailleurs la même chose. Pour elle, «il faut que l’histoire reste l’histoire et que l’on regarde l’avenir avec l’espoir d’une vie meilleure ».

Donatien GBAGUIDI






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